vendredi 12 août 2011

Extrait de PARADIS FINANCIERS, SECRET BANCAIRE ET BLANCHIMENT D’ARGENT

 

Extrait de  PARADIS FINANCIERS, SECRET BANCAIRE ET BLANCHIMENT D’ARGENT

étude de  L’OFFICE POUR LE CONTROLE DES DROGUES ET LA PREVENTION DU CRIME (ODCCP) pour le compte de l’O.N.U. 





 
Aujourd'hui, les organisations criminelles en tous genres - dont les activités vont du trafic de drogues à la contrebande de produits, en passant par la fraude en valeurs mobilières et l'abus de biens sociaux - ont be­soin de blanchir les fonds provenant de ces activités, et ce pour deux raisons. La première est que les traces de l'argent gagné peuvent devenir des preuves à la charge des auteurs de l'infraction; la seconde est que cet argent peut faire lui-même l'objet d'une enquête et d'une sai­sie. Peu importe qui recourt effectivement au système de blanchiment de l'argent, les principes de fonction­nement sont essentiellement les mêmes. Le blanchi­ment doit être conçu comme un processus dynamique en trois étapes : il s'agit tout d'abord de dissocier l'ar­gent du délit; il faut ensuite en effacer la trace pour faire échouer les poursuites; il faut enfin que l'auteur du délit puisse le récupérer sans que l'on puisse en trouver les origines économiques et géographiques.
Les fonds d'origine criminelle sont fréquemment transférés à l'étranger avant d'être recyclés dans le sys­tème des paiements internationaux pour brouiller les pistes de vérification. Malgré une multitude de compli­cations, la structure sous-jacente de toutes les activités internationales de blanchiment d'argent à ce stade du processus est simple. Le blanchisseur fait souvent appel à l'une des nombreuses places qui offrent la possibilité de créer une société en quelques minutes. Beaucoup vendent des sociétés "offshore", qui sont autorisées à mener des activités uniquement en dehors du pays où elles ont été constituées, ne sont pas soumises à l'impôt ou à une réglementation et sont protégées par les lois sur le secret industriel. Une fois la société créée dans une place "offshore", un dépôt bancaire est effectué dans le paradis fiscal au nom de cette société, dont on aura veillé à ce que l'identité du propriétaire soit pro­tégée par les lois sur le secret industriel. Le blanchisseur est ainsi protégé des services de répression par le secret bancaire d'une part, par le secret industriel d'autre part, et éventuellement aussi par le secret professionnel que peut invoquer l'avocat s'il a été chargé dans le pays où est appliqué le secret industriel de créer et de gérer l'entreprise. En outre, de nombreux plans de blanchi­ment comprennent une troisième protection, celle qu'offre le fonds fiduciaire offshore, généralement pro­tégé par les lois sur le secret et pouvant offrir une sé­curité supplémentaire sous forme d'une "clause de fuite" qui donne la possibilité, et même l'obligation, à l'administrateur fiduciaire de changer le domicile du fonds chaque fois que celui-ci est menacé.
En substance, la règle pour réussir une opération de blanchiment d'argent est de toujours faire en sorte qu'elle ressemble le plus possible à une opération lé­gale. Par conséquent, les procédés utilisés ne sont eux-­mêmes que de simples variantes des méthodes norma­lement employées par les entreprises licites. Ainsi, lorsqu'elle est utilisée par des criminels, la tarification de cessions internes entre entreprises affiliées de socié­tés transnationales se transforme en fausse facturation; les opérations immobilières entre entreprises affiliées deviennent de la carambouille, les crédits adossés des escroqueries, les opérations sur titres et sur options maquillent de fausses plus-values, et les opérations de compensation déguisent des plans bancaires interlopes. À première vue, il peut être impossible de distinguer les variantes licites des variantes illicites; la différence n'ap­paraît clairement que lorsqu'une activité criminelle a été repérée et que les autorités commencent alors à démêler l'écheveau.
Le système financier international a subi, au cours des dernières décennies, un certain nombre de transfor­mations qui rendent d'autant plus difficile la recherche, le gel et la saisie des revenus et des avoirs provenant d'activités criminelles. Il y a eu en effet la "dollarisa­tion" (c'est-à-dire l'utilisation du dollar des États-Unis dans les transactions) des marchés parallèles, une ten­dance générale à la déréglementation du secteur finan­cier, les progrès de l'euromarché et la prolifération des paradis qui protègent le secret des opérations financiè­res.
L'infrastructure financière s'est transformée, du fait des progrès de la technologie et des communications, en un système mondial en perpétuelle activité dans lequel "l'argent virtuel" (de simples icônes sur un écran d'ordinateur) peut se déplacer rapidement et facilement n'importe où dans le monde. L'univers des centres fi­nanciers offshore et des pays et territoires à secret ban­caire fort constitue un élément clef de cette infrastruc­ture, mais peut aussi être considéré comme un système ayant des composantes distinctes mais complémentaires et se renforçant mutuellement, dont beaucoup sont facilement manipulables par les criminels. Ces compo­santes sont examinées en détail dans la présente étude.
On peut voir dans les caractéristiques que présentent les centres financiers offshore et les places à secret bancaire fort un ensemble d'outils pouvant servir non seulement à blanchir les produits du trafic de drogues et d'autres délits, mais également à commettre certains types de délits financiers. Toutes ces places, cependant, ne font pas preuve du même laxisme, et l'étude donne un aperçu de la géographie des paradis financiers qui protègent le secret bancaire. C'est un monde en perpé­tuel mouvement, qui reflète les diverses politiques sui­vies pour trouver un équilibre entre la recherche de la compétitivité, d'une part, et l'application de normes déontologiques strictes, de l'autre. La politique opti­male y consiste à ne pas contrôler avec trop de rigueur les clients, sans pour autant accepter de façon trop fla­grante n'importe qui.
De gros efforts ont été et continuent d'être faits pour améliorer la transparence du secteur financier, mais le monde financier offshore demeure en grande partie un "triangle des Bermudes" pour les enquêtes financières.
Les opérations de répression réussies qui sont expo­sées dans la présente étude donnent une idée de l'ima­gination déployée et parfois des procédés sommaires utilisés pour dissimuler, transférer et blanchir les pro­duits du crime dans les paradis financiers. C'est là un domaine où les criminels l'emportent souvent sur les représentants de la loi. Les affaires citées font ressortir les avantages, du point de vue des criminels, d'une collusion avec les employés de banque et du recours à des blanchisseurs professionnels. Elles révèlent aussi la façon dont les criminels peuvent exploiter ce qui est en fait devenu pour eux un monde sans frontières. C'est la combinaison de transferts rapides, en grande partie anonymes, et de destinations protectrices que les ac­tions de lutte contre le blanchiment de l'argent doivent percer.
À cet égard, certaines questions méritent d'être exa­minées de façon approfondie, à savoir :
*      L'application abusive du principe de la souverai­neté des Etats pour offrir des refuges aux produits
du crime.
*     La prolifération de sociétés d'affaires internationa­les, qui sont couramment utilisées dans les plans
de blanchiment de l'argent parce qu'elles offrent une protection sans faille aux détenteurs des avoirs. Elles ont peu de justifications commerciales ou financières, Si ce n'est de dissimuler l'origine et la destination des marchandises dans le commerce international, de permettre de contourner les lois sur le contrôle des armes et d'échapper au fisc par le transfert des bénéfices et des avoirs.
*     L'abus des fonds fiduciaires offshore.
*     Le rôle joué par certains professionnels protégés par les privilèges juridiques.
*     L'effet de la "dollarisation" du marché mondial et l'effet probable, dans les années à venir, de l'entrée
de l'euro sur les marchés financiers.
*     La véritable utilité des zones franches à des fins légitimes, du fait du recul des tarifs douaniers.
*     La vulnérabilité des casinos aux opérations de blanchiment d'argent sale et la nécessité impéra­tive que ce secteur soit plus rigoureusement régle­menté.
*     La nécessité de rassembler et d'échanger plus effica­cement les renseignements sur les délits financiers.
*     La proposition tendant à demander aux pays qui sont des centres financiers de publier des données, y compris des informations tant sur les patrimoi­nes que sur les mouvements de fonds sur les comptes de tous genres, d'une manière raisonna­blement coordonnée pour formuler des réponses étayées à des questions de fond importantes.
*     La quasi~absence de réglementation du secteur bancaire offshore et la protection excessive du se­cret bancaire, qui parfois empêchent même les or­ganismes de réglementation d'un autre pays de dûment superviser les filiales des établissements financiers de ce même pays situées dans ces cen­tres.
*     L'importance de l'amélioration de la formation des enquêteurs financiers afin de leur donner les moyens d'appréhender les subtilités de montages complexes, et la proposition tendant à élaborer un programme international de troisième cycle à l'in­tention des cadres en milieu de carrière des servi­ces de répression, des services juridiques et des services judiciaires, ainsi que des responsables de l'application des réglementations du secteur privé.
Le dénominateur commun des opérations de blan­chiment de l'argent sale et de divers délits financiers est l'appareil mis en place dans les paradis financiers et les centres offshore, qui les facilite. L'efficacité avec la­quelle ces centres aident des particuliers et des entrepri­ses à dissimuler leurs avoirs ne résulte pas d'un dispo­sitif unique. Il ne suffira pas de changer les règles du secret bancaire. Ces centres ont en effet mis au point tout un ensemble d'instruments (fondations, trusts, sociétés fiduciaires, banques et comptes bancaires) par­faitement intégrés à des pays et territoires qui se sont fait un devoir de ne pas coopérer avec le reste de la communauté internationale dans les enquêtes criminel­les et fiscales. Ce qui a commencé comme une activité visant à satisfaire les besoins de quelques privilégiés est devenu une énorme faille dans le système juridique et fiscal international. Si la communauté internationale veut instaurer un régime de droit qui soit adapté à la mondialisation des échanges commerciaux et de la cir­culation des personnes, elle devra s'attaquer aux pro­blèmes que pose cette faille. Elle devra traiter la ques­tion de l'usage fait par certains pays du principe de souveraineté nationale pour permettre aux citoyens d'autres pays de tourner les lois de leur propre société.

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